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Homélie prononcée le 5 décembre 2021
Frères et Sœurs,
Les lectures de ce deuxième dimanche de l’Avent nous rappellent que la révélation de Dieu dans la Bible est attachée à une histoire et à une géographie bien particulières et bien repérables, ce qui veut dire que cette révélation n’est pas une légende. Notre connaissance de Dieu n’est pas un récit légendaire aux fondement historiques douteux. Bien au contraire, la première lecture, tirée du livre de Baruch, nous a replongés au 6e siècle avant le Christ, dans les années 580 avant notre ère, lorsque Jérusalem est tombée aux mains de Nabuchodonosor qui a déporté tous les habitants à Babylone, en exil en terre étrangère. C’était la pire catastrophe qu’on pouvait imaginer, puisqu’on perdait tout, la Terre Promise, le Temple et le roi.
Et au bout de cinquante ans, comme par miracle, Cyrus, le roi des perses, conquiert Babylone sans coup férir, et libère les déportés, lesquels reviennent à Jérusalem et rebâtissent le Temple.
Et c’est à cette époque-là que ces rapatriés d’exil ont reçu, pour la première fois, le nom de « juifs », en hébreu yehudim, qui leur a été donné par l’administration perse. Ainsi, à travers Cyrus, Dieu libérait son peuple. Jérusalem qui avait vu ses fils partir en exil devait quitter sa robe de tristesse, et se réjouir du salut qui lui venait par pure grâce. Voilà l’histoire. Voilà ce qui s’est passé.
Six cents ans plus tard, dans l’évangile de ce matin, Israël est de nouveau dominé, mais, cette fois-ci, par les romains. Et saint Luc énumère avec précision tous les rouages de ce nouvel empire, pour bien montrer que l’Évangile non plus n’est pas une légende, mais qu’il est un fait historique majeur auquel le monde entier va se référer.
C’est alors que se lève le prophète Jean-Baptiste qui annonce que Dieu va encore sauver son peuple, et de nouveau sans bataille et sans victoire militaire, non pas pour le ramener d’un exil géographique puisqu’il est resté sur sa terre, ni pour le libérer politiquement de l’occupant romain, mais pour le ramener de son exil religieux loin de Dieu, pour qu’il se convertisse et qu’il se redresse grâce à une régénération spirituelle que la Bible appelle « le pardon des péchés ». « Jean-Baptiste proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés », nous a dit saint Luc dans l’évangile que nous venons d’entendre.
De quoi s’agit-il, Frères et Sœurs ? Il s’agit de se convertir, pour que le pardon de Dieu soit vraiment efficace, pour que les sacrements soient vraiment efficaces. Il s’agit de se tourner vers Dieu et de revenir à lui, non pas du bout des lèvres mais de tout son cœur, pour que la grâce de Dieu porte effectivement du fruit dans la vie des croyants. Jean-Baptiste, comme tous les prophètes, s’adresse à tous, au grand public et au grand jour. Il appelle la société de son temps, et pas seulement les personnes individuelles, à revenir à Dieu, à revenir de l’exil et de l’oubli de Dieu, comme autrefois les juifs sont revenus de Babylone.
Alors, de nos jours, nous pourrions penser qu’un tel retour à Dieu est impossible dans la France où nous vivons, tellement ce pays se retrouve comme exilé loin de Dieu, à cause du laïcisme et de l’individualisme, à cause du matérialisme technologique et, en plus maintenant, à cause du scandale des abus dans l’Église, autant de poids sous lesquels tous les repères traditionnels semblent être écrasés les uns après les autres.
Et nous serions tentés de désespérer que notre société retrouve un jour une véritable estime de la religion, et redécouvre les ressources inimaginables de son héritage chrétien pour aborder sereinement les millénaires qui viennent.
Mais, Frères et Sœurs, voir tout en noir, ce serait oublier l’histoire, l’histoire sainte d’Israël. Car, déjà au moment de la chute de Jérusalem et de sa déportation, Israël était majoritairement dans une véritable apostasie où l’on disait : « Dieu n’existe pas. Il ne voit rien et ne peut rien. Seules comptent nos forces et nos richesses ». Le prophète Jérémie et les Psaumes ont des passages redoutables sur ce rejet de Dieu au sein de la société israélite qui est, pourtant, le peuple élu, le fils aîné de Dieu. Eh bien, malgré cette apostasie générale et malgré le douloureux exil qui s’en est suivi à Babylone, Israël a survécu et, grâce au pardon de Dieu, il a été rapatrié sur sa terre.
Et six cents ans plus tard, à l’époque de Jésus, quand Jean-Baptiste appelle à se convertir et à revenir à Dieu, la nouvelle forme d’exil qui menace de nouveau Jérusalem, ce n’est plus tellement l’apostasie nous disent l’histoire et la tradition juive. Ce sont, cette fois-ci, les divisions et les haines entre frères qui font le lit des romains, et qui vont provoquer la destruction du Temple, comme autrefois les coups des babyloniens.
Tout cela veut dire pour nous aujourd’hui, Frères et Sœurs, que l’appel de Dieu à nous convertir vise aussi bien l’apostasie et l’oubli de Dieu que nos divisions fraternelles qui n’en finissent pas de nous opposer les uns aux autres, parce que nous perdons le ciment social de l’esprit, parce que nous perdons la foi commune qui va bien au-delà des valeurs humaines, et qui nous fait marcher ensemble à la lumière d’un amour éternel. Qu’il s’agisse de revenir de nos rejets de Dieu ou de nos divisions, nous convertir, c’est toujours nous ouvrir à l’amour éternel.
Et là, il y a un paradoxe. D’un côté, se convertir, c’est un chantier gigantesque de terrassement, de gros œuvre et de génie civil parce qu’il y a des montagnes d’orgueil et d’idéologie à renverser. Qu’y a-t-il de plus dur à changer que des mentalités ? Il y a des ravins d’indifférence à combler, des passages tortueux de systèmes opaques à redresser. Faire tout cela, c’est préparer les chemins du Seigneur, dans l’évangile de Luc. Et c’est énorme.
Mais, en même temps, et là est le paradoxe, c’est aussi Dieu qui fait tout cela, nous a dit Baruch dans les mêmes termes que Jean-Baptiste : « Dieu a décidé que les hautes montagnes seraient abaissées, que les vallées seraient comblées, etc. », pour nous faire comprendre que tous nos efforts de conversion spirituelle, de redressement moral, social, écologique, politique, financier - que sais-je ? -, tourneront court et resteront stériles, s’ils ne sont pas portés par Dieu, c’est-à-dire s’ils ne sont pas soutenus par une vision transcendante et vraiment libératrice de l’humain et du divin.
Dit autrement, là où l’évangile nous demande, à travers Jean-Baptiste : « préparez les chemins du Seigneur », c’est à vous de le faire et de vous y engager, les prophéties de l’Ancien Testament nous annoncent que Dieu lui-même va venir préparer son chemin en nous, avec nous, pour nous, en s’engageant à nos côtés. Et nous savons que Dieu va se faire l’un de nous à partir de Noël pour que sa grâce nous atteigne et nous transforme au plus profond, si nous lui ouvrons notre cœur.
N’ayons donc pas peur, Frères et Sœurs, de revenir de nos exils, en travaillant à notre propre conversion, mais en croyant aussi que Dieu nous y aide, et qu’il travaille également les cœurs et les esprits de nos contemporains pour les tourner vers lui et leur faire découvrir la puissance de son amour.
Que notre espérance ne faiblisse pas quelles que soient les circonstances. Et que la paix du ciel nous assiste en toute chose pour que nous avancions sur les chemins de Dieu, et que nous ayons la joie d’y rencontrer celles et ceux qui le cherchent d’un cœur sincère et droit, et qui trouveront en lui le sauveur et le libérateur de notre monde. Amen.
Père Patrick Faure
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