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Homélie prononcée le 20 mars 2022
Frères et Sœurs,
Qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine ou de la guerre en Algérie dont nous commémorons aujourd’hui le cessez-le-feu après les accords d’Évian, ou qu’il s’agisse de tremblements de terre, d’effondrements d’immeubles, de catastrophes naturelles ou d’accidents en tout genre, tout aussi tragiques et destructeurs que la violence humaine, dans tous les cas les victimes de ces drames sont, dans leur immense majorité, innocentes, non coupables, de ce qui leur arrive.
Il y a eu tous ces garçons fauchés en pleine jeunesse en Afrique du nord il y a 60 ans, et encore aujourd’hui, en Europe de l’Est, chez les ukrainiens comme aussi chez les russes. Et il y a maintenant ces famines qui ont déjà commencé à cause des conflits, à cause du dérèglement climatique et de la pandémie, et qui vont encore s’aggraver dans les pays précaires, et faire un nombre de mort considérable que nos médias vont bientôt révéler.
Face à toute cette souffrance innocente et à tous ces ravages, nous nous scandalisons, en tant qu’êtres humains et en tant que croyants. Et nous cherchons les causes ou les explications du mal, soit, malgré tout, du côté des victimes qui auraient peut-être pu faire en sorte de ne pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, soit du côté de Dieu qui punirait les hommes de leurs fautes, d’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement.
Et si cette explication du mal ne nous suffit pas, nous pouvons aller encore plus loin et remettre en cause l’existence-même de Dieu, parce que nous pensons plus ou moins clairement que s’il n’est pas là pour que tout aille bien, alors il ne sert à rien, ou encore, ce qui revient au même, que s’il n’est pas là quand nous avons besoin de lui, on ne voit pas pourquoi on croirait en lui, puisqu’il est évident que tout ce qui existe doit être là pour assurer notre subsistance, et répondre à nos désirs les plus légitimes.
Disons d’abord que, dans l’évangile que nous venons d’entendre, le Christ écarte l’idée du Dieu gendarme qui sanctionne et qui punit : non, ce n’est pas à cause de leurs fautes que des galiléens ont été massacrés par Pilate ou que des habitants du quartier de Siloé, à Jérusalem-est, ont été tués par l’écroulement d’une tour. Les uns comme les autres n’étaient pas plus pécheurs que leurs contemporains. Autrement dit, la question n’est pas là. Il ne s’agit pas de chercher « à qui la faute ». Et si le Christ évoque leur mort brutale, ce n’est pas pour prendre position dans le débat sur l’origine du mal auquel on pense immédiatement. Son intention vise autre chose.
Ensuite, et pour ceux qui voudraient aller plus loin et remettre en cause l’existence de Dieu à cause du mal et de la souffrance, rappelons-nous que, dans le reste de l’Évangile, à côté des nombreux miracles de guérison qu’il a opérés, le Christ a proclamé aussi les Béatitudes pour ceux qui sont et qui restent pauvres et persécutés, avant de se laisser lui-même crucifier à mort, tout cela pour épouser jusqu’au bout toutes nos douleurs, et pour les remplir de son amour qui transfigure tout. La Passion du Christ à Jérusalem écarte l’idée du dieu qui serait étranger au mal et à la souffrance, et qui devrait être avant tout une sorte d’assurance-vie pour garantir notre existence, alors qu’il est avant tout un amour qui prend toute notre vie, pour habiter tout notre cœur et même toute notre mort, et pour tout transformer en lui.
L’évangile que nous venons d’entendre nous fait comprendre que Dieu n’est pas un père fouettard irascible et sourcilleux. Et le reste de l’Évangile, surtout à Jérusalem, nous fait comprendre que Dieu n’est pas non plus un sauveteur ou un secouriste qui sauve nos vies pour nous remettre à nos affaires quotidiennes, et laisser chacun d’entre nous sur son quant-à-soi.
Quand le Christ répond à ceux qui l’interrogent : « ils ne sont pas plus pécheurs que les autres », son intention n’est donc pas de trancher le débat sur l’origine du mal, ni sur la façon dont il faut se représenter Dieu par rapport aux hommes. Non, son intention est ailleurs. Ce qu’il vise, c’est plutôt notre fragilité radicale, notre vulnérabilité face aux événements de la vie, que nous soyons de grands pécheurs ou pas.
Ce que le Christ veut nous dire, c’est qu’à tout moment nous pouvons périr sous des bombes ou des glissements de terrain, dans des attentats terroristes ou dans des accidents de la route, dans des crimes de guerre ou dans des maladies, en n’y étant à chaque fois pour rien ou presque, et innocents de ce qui nous arrive.
Et quand il ajoute : « si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même », c’est-à-dire « vous mourrez tous comme eux », cela ne veut pas dire que vous périrez tous comme eux de mort violente ou brutale. Cela veut dire que vous périrez tous comme eux, en étant surpris par la mort parce que vous aurez été des pécheurs ordinaires qui n’auront pas travaillé à leur conversion et à la rencontre avec Dieu. Vous paraîtrez devant Dieu sans vous y être préparés. Vous serez dans la lumière de son amour, et, à cette lumière, vous verrez tout d’un coup et vous jugerez toute votre vie en fonction de l’amour, et de la façon dont vous aurez cultivé, ouvert et fait grandir l’amour dans votre cœur.
Le Seigneur nous prévient : « ne vous imaginez pas que tous vos systèmes de sécurité vous protègent et vous immunisent contre ce que la mort aura d’imprévu si vous ne vous y préparez pas ». Et vous convertir ne veut pas dire vivre dans la peur de la mort, ou dans une sorte de terreur psychologique permanente. Non. Vous convertir veut dire vivre chaque instant de votre vie dans un amour toujours plus grand de Dieu, de vos frères et de votre environnement, pour que, dans cet amour spirituel, premier, fondamental et universel, même la mort même subite ne soit plus subitement la fin de tout, ni le mal absolu, mais soit le passage vers l’amour éternel que vous aurez plus ou moins consciemment voulu et cultivé à chaque instant de votre vie.
D’où la parabole du figuier stérile, ce figuier qui représente nos vies de pécheurs ordinaires, nos vies spirituelles pas spécialement fécondes, et dont nous sommes les maîtres assez souvent déçus : « à quoi bon nous épuiser à prier Dieu, et à pratiquer notre foi, si cela ne change rien à notre vie ». Et Dieu, le bon vigneron, bèche et pioche en travaillant nos cœurs, et en les fécondant patiemment par la rosée de son Esprit-Saint, pour qu’un jour enfin nous portions de bons fruits.
C’est le Dieu de l’Exode qui accompagne son peuple au désert pendant 40 ans jour après jour, sous la conduite de Moïse, depuis le buisson ardent où il est apparu, dans la première lecture que nous avons entendue. C’est le Dieu qui délivre de l’Égypte et de ses idoles de toute-puissance pharaonique obsédées par le profit et par la rentabilité., C’est le Dieu qui se fait homme en Jésus, le prince de la paix, que nous implorons pour la pacification des mémoires entre la France et l’Algérie, et pour le cessez-le-feu en Ukraine.
Avec les catéchumènes qui se préparent au baptême, demandons à Dieu la grâce de travailler à la conversion de nos cœurs, à la guérison de notre passé individuel et collectif, et au soutien de nos frères éprouvés, pour que nous soyons pour notre monde et nos communautés de véritables instruments de paix. Amen.
Père Patrick Faure
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