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Homélie prononcée le 1er mai 2022
Frères et Sœurs,
La première lecture d’aujourd’hui, tirée des Actes des Apôtres, nous raconte que Pierre et Jean sont fouettés parce qu’ils annoncent dans tout Jérusalem que Jésus a été ressuscité par Dieu, alors que les Grands-Prêtres l’ont fait mettre à mort par les romains. En parlant comme ils le font, les apôtres s’opposent frontalement aux autorités religieuses qui, en retour, vont les faire flageller pour les réduire au silence.
Or que se passe-t-il ? Devant ce refus et ce rejet de l’Évangile, Pierre et Jean ne se laissent pas abattre. Au contraire, nous dit saint Luc dans les Actes, ils sont tout joyeux d’être jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus. Pourquoi cette joie étonnante Frères et Sœurs ? Pourquoi cette allégresse des apôtres qui n’a rien de la gaité des gens tranquilles sans problèmes et sans conflits ?
Parce que, pour faire bref, le fait de souffrir pour Jésus les rapproche de Jésus. Souffrir pour le Christ qui a souffert pour eux les unit au Christ plus intimement que n’importe quelle satisfaction qu’ils tireraient de leur titre d’apôtre. Et leur joie vient de cette union intime avec le Christ, parce que la joie vient toujours de l’union intime avec l’être aimé, parce que la joie chrétienne est dans la relation avec le Christ, relation d’amour et de vérité, de justice et de paix, y compris comme ici, dans les épreuves et les contradictions.
Cette joie chrétienne peut s’éclipser. Elle peut disparaître, si nous renions le Christ, si nous lui sommes infidèles. Mais elle peut aussi revenir et renaître de ses cendres, si nous accueillons le pardon du Christ qui, lui, ne nous reniera jamais, parce qu’il nous sera toujours fidèle. C’est ce qui se passe avec saint Pierre dans l’évangile que nous venons d’entendre.
L’apôtre Pierre – vous le savez – a défailli pendant la nuit de la Passion. Par trois fois il a renié le Christ parce que l’épreuve était trop dure, alors que, pourtant, il aime Jésus. Mais il est faible.
Et quand par trois fois, ce matin, le Seigneur lui demande « Est-ce que tu m’aimes ? », Pierre est affligé, parce qu’il se souvient de son triple reniement. Il est conscient de son infidélité. Certainement qu’il la regrette. Mais Jésus ne l’accuse pas. Il prend une autre voie. Il lui fait redire son amour ouvertement, à nouveaux frais, pour le faire revenir dans la relation avec lui, et pardonner son péché. Vous le voyez, Frères et Sœurs, l’Église est fondée sur un péché pardonné.
Cela, Pierre ne pouvait pas le concevoir quand il était encore loin de la Passion, et que Jésus lui promettait de bâtir sur lui son Église. Et quand il se disait prêt à mourir pour le Fils de Dieu, il n’imaginait pas qu’une nuit à Jérusalem il en viendrait à tout abjurer.
Mais, au bord du lac de Galilée ce matin, quand le Seigneur pardonne à Pierre sa défaillance grave, il ne lui fait plus simplement une promesse. Il lui donne une mission, à l’impératif : « sois le pasteur de mes brebis », avec la force de l’injonction qui fait sentir la puissance du ressuscité désormais vainqueur de tout mal.
Pour l’apôtre Pierre, comme pour nous, Frères et Sœurs, le pardon de Dieu ne nous fait pas reprendre les choses comme avant, comme aux premiers jours, dans les mêmes cadres ou dans les mêmes structures. Le pardon de Dieu, quand on le vit en profondeur, nous introduit dans une existence nouvelle où nous ne nous appartenons plus de la même manière, où nous ne sommes plus centrés sur nous-mêmes comme nous avons pu l’être, et où nous progressons dans un véritable abandon de nous-même à l’amour miséricordieux du Christ qui est chemin, vérité, vie. Et la joie chrétienne, c’est de se laisser sans cesse renouveler par cet abandon du cœur à cet amour spirituel qui peut faire de nous, si nous le voulons, des hommes et des femmes d’unité : « sois le berger de mes brebis ».
Mais cette unité a un prix d’autant plus élevé qu’elle est plus large, et qu’elle rassemble des individus de toutes conditions et de tous horizons.
C’est ce que Pierre découvrira plus tard et que Jésus lui dit de manière voilée : « un autre t’emmènera où tu ne voudrais pas aller », c’est-à-dire à Rome, dans le cirque du Vatican pour y mourir martyr comme tant d’autres chrétiens. Ce martyr de Pierre, il commence par le fouet à Jérusalem. Et les Actes des Apôtres nous disent la joie de Pierre d’être ainsi rapproché dans sa chair de Jésus lui-même qui a souffert la flagellation avant d’être crucifié.
Mais ne nous y trompons pas, Frères et Sœurs. Ce n’est pas la souffrance qui donne la joie. C’est l’amour. Ce n’est pas la souffrance du Christ qu’il faut rechercher. C’est la relation d’amour avec lui, qu’on soit dans le bonheur ou dans le malheur.
Comprenons que la puissance du Christ, le Sauveur du Monde, c’est de faire qu’au cœur de tout malheur, de toute souffrance l’être humain puisse continuer d’aimer, sans se laisser envahir et détruire par la haine et la vengeance contre celles et ceux qui le font souffrir.
La puissance du Messie crucifié, c’est d’apporter, par la prière et par les secours fraternels, sa présence et son amour à ceux qui n’en peuvent plus, et qui sont exténués par la maladie, les catastrophes naturelles et les violences humaines.
Et la joie, celle qu’on ne ressent pas forcément tout de suite, et qu’on ne comprend qu’après, c’est la joie de rester dans cette présence et dans cet amour inexprimables de celui qui nous a aimés, comme le dit saint Paul, et qui s’est livré pour nous (Ga 2,20).
Nos frères chrétiens d’Irak et du Proche-Orient, d’Afrique et d’Ukraine qui sont persécutés ou massacrés n’ont pas vu Jésus mis à mort puis vivant ressuscité comme l’ont vu les apôtres. Et leur joie chrétienne ne peut pas être immédiate comme celle de Pierre et de Jean ce matin. Ces victimes d’aujourd’hui ressemblent davantage aux premiers martyrs qui, par milliers, ont subi des atrocités en étant agressés par la Rome impériale.
Mais tous ont le même Seigneur qui les prend avec lui dans leur calvaire, comme il nous prend avec lui dans les nôtres, qui leur pardonne les reniements dans les horreurs qu’ils endurent, comme il pardonne aussi les nôtres.
Ce matin encore, le Seigneur nous fait la joie de nous prendre auprès de lui par sa bénédiction ou par ses sacrements, quels que soient les moments que nous traversons dans notre existence.
Il nous a rendus féconds cette année encore par les nouveaux baptisés qu’il nous a donnés à Pâques. Et il a particulièrement béni celles et ceux qui se sont investis dans les célébrations pascales.
Mais avec les chrétiens du monde entier, ceux qui pleurent et ceux qui chantent, il nous demande par-dessus tout, à chacun et à chacune d’entre nous : « m’aimes-tu vraiment ? », pour que nous ayons la joie immense de pouvoir lui répondre humblement dans notre cœur « oui, Seigneur, tu sais bien que je t’aime », et pour pouvoir le suivre et le faire aimer, afin que, par nous, il apporte au monde la Résurrection et la Vie. Amen.
Père Patrick Faure
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