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Homélie prononcée le 13 mars 2022
Frères et Sœurs,
les évangiles nous racontent la vie du Christ, et ils nous font comprendre que le moment où il est transfiguré sur une haute montagne est aussi le moment où il est au sommet de sa popularité en Galilée. Il a délivré des possédés, guéri des malades et nourri des foules, en leur donnant du pain et un enseignement plein d’autorité, de sagesse et de nouveauté. Il a soulevé un enthousiasme immense parce qu’il a dit « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, le Royaume de Cieux est à eux » (Mt 5,10), et parce qu’il a suscité des élans de solidarité, de fraternité, de soutien qui ont renversé les barrières sociales de son temps, et qui ont fait naître entre des juifs qui ne se parlaient plus et avec des païens par principe infréquentables une unité nouvelle qui bouleversait la vie religieuse d’Israël et même sa vie politique sous occupation romaine, au point d’être accusé de soulever le peuple et d’être mis à mort (Lc 23,5).
Mais ce n’était là qu’une amorce, le commencement de quelque chose de plus profond, de plus universel. La compassion du Christ en Galilée pour ses contemporains a été l’amorce de sa passion à Jérusalem pour tous les hommes de tous les temps. Le combat qu’il a commencé en Galilée sur le terrain de la santé psychique, physique, économique et même sociale de son environnement, c’est le combat qu’il a mené à Jérusalem jusqu’au bout, jusqu’à la racine du mal qui ronge les hommes et qui se situe dans leur cœur. C’est le combat de l’esprit contre les puissances infernales qui ont pour nom la malice, le déchaînement de la force physique, l’appétit de pouvoir et de domination. Et ce combat contre ces puissances-là, il ne l’a pas mené en organisant la résistance contre l’empire de Rome.
Cette victoire qui sauve le monde pour toujours, et qu’il a remportée contre l’esprit du mal, il ne l’a pas obtenue en mettant en œuvre sa puissance divine qui lui aurait apporté 12 légions d’anges, comme il le dit dans saint Matthieu (Mt 26,53). Non, son combat et sa victoire à Jérusalem ont été l’œuvre de son amour qui a voulu subir jusqu’au bout le déchaînement de la haine et de la violence, pour qu’il soit bien établi que cette haine et cette violence ne l’empêcheraient pas d’aimer ni de pardonner – « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23,34) » -, et pour que désormais toutes les souffrances humaines, des plus horribles au plus insensées, puissent être vécues avec lui et en lui, en ayant la promesse de déboucher sur la lumière de la résurrection.
Car celui qui est entré dans les ténèbres du Vendredi Saint, dans la noirceur du drame, de la torture et de la mort en croix, c’est cet être de lumière qui resplendit ce matin dans l’évangile que nous venons d’entendre. C’est Dieu le Fils qui ne fait qu’un avec Dieu le Père (Jn 10,30). Il faudrait que nous pensions plus souvent à la Transfiguration quand nous disons le credo : « il est Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu », et que nous nous rappelions Jésus brillant comme un soleil, rayonnant de la puissance divine qui n’est qu’amour et vie plus forte que l’anéantissement.
L’actualité internationale que nous vivons depuis quelques jours crée un ébranlement inouï qui, par certains aspects, nous rapproche de ce qui s’est passé en Galilée il y a 2000 ans. L’agression militaire du président russe contre l’Ukraine suscite un immense élan de solidarité dans presque tous les pays du monde. Presque partout sur la planète une multitude considérable de dons converge vers l’Ukraine et ses pays voisins pour soutenir les soldats et les civils qui résistent vaillamment au rouleau compresseur de Moscou.
Et les pays d’Europe accueillent les réfugiés qui font parfois des milliers de kilomètres pour trouver abri et sécurité auprès des concitoyens qui vivent en diaspora. A la stupeur de cette guerre manifestement horrible qui vient d’éclater en Europe de l’Est répond une mobilisation stupéfiante et générale des sociétés occidentales qu’on croyait anesthésiées par l’individualisme et le consumérisme.
Nous ne savons pas combien de temps ce conflit va durer. Mais, pour l’heure, bon nombre des problématiques et des tensions qui nous agitent et nous divisent habituellement passent comme au second plan derrière ce qui semble être un appel transcendant à sortir de nos ornières, et à traduire en actes nos aspirations à plus de fraternité, de charité, de service et d’entraide.
Certains d’entre nous, surtout parmi les plus anciens, retrouvent une crainte oubliée depuis 70 ans, mais retrouvent aussi une énergie oubliée qui leur donne comme un supplément de vie face aux crimes à grande échelle de nouveau subis par des européens. Ce mouvement de fond qui nous traverse à l’occasion de cette guerre et de cette occupation armée nous rapproche du tremblement de terre qu’a été le ministère public du Christ au Proche Orient à l’époque où les tyrans étaient déjà capables des pires exactions et des cruautés inimaginables.
Mais ce tremblement de terre, vous le savez, s’est poursuivi jusqu’à Jérusalem, jusqu’au rocher du Golgotha, comme le note encore saint Matthieu (Mt 27,51) au moment où Jésus est mort. Et pour nous qui sommes le corps de Jésus, ses membres, plongés, baptisés dans sa mort et sa résurrection, nous avons en nous non seulement la puissance de sa compassion qui se réveille et qui vibre à l’appel de nos frères et sœurs meurtris, mais nous avons aussi et surtout sa victoire sur l’enfer, sur l’instinct de domination, sur la volonté de toute puissance, et sur la violence, l’égoïsme et le mensonge dont nous savons bien qu’ils n’ont pas plus de frontières qu’un virus, et que, selon les circonstances, nous pouvons être prêts à y céder, aussi bien par faiblesse que par colère, ou que par convoitise.
Quand nous prions pour que les armes se taisent en Ukraine et dans le monde, prions donc aussi pour que les cœurs se convertissent, aussi bien les nôtres que ceux des russes et ceux des ukrainiens. Quand nous retroussons nos manches pour donner de notre temps, de notre argent, de notre espace vital et de notre amour pour celles et ceux qui fuient les bombes, renversons aussi nos habitudes et nos mentalités, en pensant à ce que nous n’avons pas fait là où nous étions avant que tout cela n’arrive.
Et demandons au Christ transfiguré que, de ce mal énorme qui n’est pas loin de nous, Dieu tire un bien qui ne sera pas seulement la paix lorsqu’elle nous reviendra, mais qui sera également, et malgré les apparentes régressions, un sursaut de conscience et de civilisation dans la marche irréversible de notre humanité fragile vers une unité plus grande, et vers une spiritualité mieux partagée.
Le Christ a la puissance de tout transformer, nous a dit saint Paul dans la deuxième lecture (Ph 3,21), y compris nos pauvres corps de misère en son corps de gloire. Alors, Frères et Sœurs, qu’en ces jours de Carême nos cœurs et nos esprits grandissent dans l’espérance et dans la charité pour que nous soyons les humbles instruments de ce grand amour qui peut sauver notre monde. Amen.
Père Patrick Faure
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