Le gérant malhonnête

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Homélie prononcée le 22 septembre 2019

Frères et sœurs,

Dans le Proche-Orient du temps de Jésus, comme aujourd’hui d’ailleurs, vous savez que l’huile d’olive et le blé sont des denrées alimentaires très courantes et très consommées. Dans cet évangile que nous venons d’entendre, il est question d’un riche agriculteur – un maître – qui a beaucoup d’huile et beaucoup de blé. Il a donc un gérant ou un intendant pour assurer la gestion de tous ses produits. Au temps du Christ, on peut bien sûr acheter directement à ce maître de l’huile ou du blé. Mais on peut aussi en emprunter, en s’engageant à le rendre un peu plus tard. Et, d’après la Bible de Jérusalem, c’est cette situation d’emprunt qui est en cause dans l’épisode que nous venons d’entendre.

Qui sont les emprunteurs ? Peut-être d’autres agriculteurs qui, pour leurs propres affaires, ont besoin d’ajuster leur production, ou bien d’autres clients qui font du commerce alimentaire dans la région. Toujours est-il que les prêts consentis en huile ou en blé ne sont pas gratuits. Ils ont un prix. Et ce prix se paye en huile ou en blé.

Et c’est là que le gérant est malhonnête. Car il pratique des prix exorbitants pour prêter des barils d’huile ou des sacs de blé. Dans un environnement économique où ces produits sont très demandés, il réussit à prêter l’huile au prix où on la vend, en s’assurant de la récupérer plus tard. Et, pour le blé, il accepte de prêter 80 sacs à condition qu’on lui paye le prix d’achat de 20 sacs. Pourquoi cela ? Parce que ces prix exorbitants sont, en réalité, les marges ou les bénéfices avec lesquels ce gérant se paye. Sa malhonnêteté consiste donc à pratiquer des marges abusives pour s’enrichir personnellement. C’est pour cela que son maître le renvoie.

Mais son habileté va consister à sacrifier ses marges et à y renoncer. Et c’est pour cette raison que son maître va, malgré tout, faire son éloge. « Combien dois-tu à mon maître ? 100 barils d’huile. Vite, écris 50. C’est-à-dire, vite revenons à la réalité de ce que tu as emprunté, à savoir 50 barils d’huile. Je renonce à la marge ou au bénéfice abusif de 100% que je faisais au nom de mon maître. Et de même pour le blé, même si le bénéfice est moindre.

Dans cette parabole, cet intendant rectifie donc sa conduite et renonce à ses taux usuraires et à ses pratiques malhonnêtes. Et son maître apprécie le geste. Il ne le félicite pas d’avoir été malhonnête, mais d’avoir été avisé, intelligent, débordant d’imagination pour se tirer d’affaire au moment de son licenciement. La parabole ne fait donc pas l’éloge de la malhonnêteté ou de l’abus de pouvoir. Non, certainement pas, puisque le gérant est renvoyé. Mais la parabole fait l’éloge de l’habileté, de la créativité, de l’inventivité dont a fait preuve un gérant malhonnête, mais dont tout disciple du Christ doit également faire preuve, la malhonnêteté en moins, car Jésus le dit lui-même dans l’évangile de saint Matthieu : « soyez purs comme des colombes, mais rusés comme des serpents » (Mt 10,16), alors qu’il s’adresse aux fils de la lumière pour leur apprendre à vivre au milieu du monde.

La pointe de cette parabole, dans la bouche du Christ, Frères et Sœurs, est donc de nous dire qu’avec l’argent trompeur on peut sortir de la tromperie. Et cela est une bonne nouvelle. Avec l’argent trompeur et malhonnête qui permet qu’on s’enrichisse en pratiquant des gains abusifs et des profits indécents, avec ce même argent on peut se convertir et renoncer à ses appétits insatiables et à ses excès pulsionnels. Et cela aussi fait partie de l’évangile.

Mais quand on a dit tout cela, on n’a pas encore dit l’essentiel. Car l’évangile n’est pas d’abord une leçon de morale, fût-elle sociale ou financière. L’évangile est d’abord une vie, une vie spirituelle qui fonde et qui soutient la vie morale.

Et ce matin, c’est nous-mêmes qui sommes les intendants plus ou moins honnêtes des mystères du Christ et de la grâce qui nous sont confiés dans notre vie chrétienne. Pour que notre interprétation de l’Evangile soit fidèle, juste et complète, elle ne doit donc pas être seulement morale. Elle doit être aussi spirituelle.

Nous sommes les intendants des mystères du Christ qui nous sont confiés par notre baptême et notre connaissance de Dieu. Ces mystères ne nous appartiennent pas, et nous avons à les prêter à ceux qui nous entourent, afin qu’ils les rapportent un jour au Christ notre maître, pour qu’ils découvrent sa bonté, sa paix, son soutien. Et plutôt que de négocier notre témoignage du Christ en y cherchant notre intérêt, c’est-à-dire en parlant de notre christianisme quand cela nous arrange, et en nous taisant quand cela nous coûte, nous avons à renoncer à nous-mêmes et à déployer des trésors d’imagination, d’habileté ou d’inventivité pour évangéliser un peu plus autour de nous, et pour nous faire des amis qui nous seront éternellement reconnaissants de leur avoir parlé de Dieu et de la vie éternelle.

Quand nous faisons ainsi, Frères et Sœurs, ce ne sont pas nos biens matériels qui sont en cause. Ce ne sont pas ces biens matériels qui ne sont que du monde et que nous n’emporterons pas au ciel, cet argent, cette culture, cette civilisation et sa technologie. Quand nous faisons ainsi, quand nous évangélisons notre environnement et nous-mêmes, c’est notre vie qui est en cause, notre vérité humaine, « notre bien propre » dont l’évangile a parlé, car nous travaillons alors pour notre éternité. Et ceux que nous aurons évangélisés un tant soit peu sur les questions fondamentales de la vie, si, un jour, ils nous précèdent au ciel, alors ils nous accueilleront les bras ouverts comme des frères, des sœurs ou des amis, dans les tentes éternelles.

Dans cette perspective, nous pouvons penser à ce qui agite notre actualité en ce moment, à ces lois bioéthiques en débat et en projet qui – vous le savez - font peser des conséquences lourdes sur les enfants à naître, et sur leur droit naturel à grandir dans l’amour d’une mère et dans l’amour d’un père. Nous pouvons y penser, car, tôt ou tard, nous aurons à nous prononcer sur ces questions sociétales. Demandons donc ce matin la sagesse de Dieu et la richesse humaine qui nous aideront à témoigner, en intendants fidèles, que le vrai Bien auquel nos contemporains aspirent ne relève pas seulement des capacités techniques de nos laboratoires, mais dépend essentiellement des capacités de notre cœur à respecter la dignité des plus petits d’entre nous. Et pour témoigner de cette vérité qui nous est confiée et confirmée par le Christ, n’hésitons pas à déployer des trésors d’initiatives et de courage pour dire qui nous sommes à ceux qui nous entourent et qui nous voient, pour les évangéliser quels que soient nos manquements, afin que nous puissions construire avec nos concitoyens des relations droites et justes portées par l’espérance de vivre un jour tous ensemble dans l’amour éternel. Amen.

Père Patrick Faure

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