Les sadducéens et la Résurrection

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Homélie prononcée le 10 novembre 2019

Frères et Sœurs,

dans le judaïsme du temps de Jésus, les sadducéens sont les laïcs et les prêtres qui font vivre le Temple de Jérusalem, avec ses grandes cérémonies, ses sacrifices et ses prières publiques. Les sadducéens forment une sorte d’aristocratie qui est proche du pouvoir politique romain. Mais lorsque l’empereur Hadrien fait détruire le Temple en l’an 135, les sadducéens n’ont plus de raison d’être. Et ils disparaissent.

A l’époque de Jésus ils sont une élite au-dessus du peuple. Ils ne croient pas à la résurrection des morts, ni à l’existence des anges et des esprits. Jésus, lui, s’inscrit dans la ligne des pharisiens qui sont proches du peuple, et qui tiennent que les anges existent, et que Dieu ressuscitera les morts. Pour les sadducéens, le séjour des morts n’est qu’un lieu souterrain où l’on est enfermé dans le silence et quasiment dans l’oubli. Pour ces contradicteurs du Christ et des pharisiens, il n’y a pas d’autre vie que celle qu’on a sur la terre, et parler de résurrection veut donc dire parler d’un retour à la vie de ce monde, avec tous les problèmes et toutes les contradictions que cela pose. Du reste, c’est bien ce qu’ils objectent à Jésus dans l’épisode que nous venons d’entendre.

Dieu ne peut pas demander que la femme soit l’épouse d’un seul homme, s’il s’avise un jour de ramener à la vie de ce monde tous les hommes que cette femme aura pu épouser, ou même aura dû épouser pour obéir à la loi divine concernant les hommes qui meurent sans laisser d’enfants. Une telle résurrection aboutirait, pour Dieu, à une contradiction grotesque et ridicule de sa propre loi. Et c’est bien ce ridicule que les sadducéens entendent faire porter à Jésus qui persiste à parler de la résurrection, et qui a même annoncé sa propre résurrection.

Les sadducéens ne croient pas que Dieu puisse relever les morts, et, pour eux, comme d’ailleurs aujourd’hui pour beaucoup de nos contemporains, les défunts ne survivent plus ou moins que là où les vivants se souviennent d’eux et perpétuent leur mémoire. Dans cette conception de l’au-delà, vous le sentez bien Frères et Sœurs, les morts auxquels personne ne pense n’ont, pour ainsi dire, plus aucune existence. Quelle tristesse !

A cette première façon de voir l’au-delà de la mort, on pourrait en ajouter une autre, plus radicale encore, celle de notre époque moderne où les philosophies matérialistes ou athées estiment que la mort est une destruction totale de l’individu, et que l’être humain, comme les autres vivants, va vers le néant, quoi qu’il en soit des traces qu’il aura laissées en ce monde. Pour l’athéisme et le matérialisme, la vie individuelle ne conduit nulle part. Elle ne débouche sur rien. Elle n’a pas de sens. Elle est absurde. Et le mieux qu’elle ait à faire, à défaut de croire en Dieu, c’est de croire aux valeurs communes de la raison humaine, la solidarité, la liberté, la justice et tant d’autres, en attendant d’être anéantie par la mort, ou plutôt en évitant d’y penser pour éviter la question de Dieu. « Souvenez-vous qu’en ce temps-là, nous dit l’épître aux Ephésiens, vous n’aviez pas d’espérance et vous étiez sans Dieu dans le monde » (Ep 2,12). Quel manque de perspective et d’avenir, Frères et Sœurs !

Ailleurs encore, dans l’humanité, la réflexion humaine a cherché à savoir ce qui se passe après la vie terrestre. Et l’Extrême-Orient, vous le savez, a pensé à la réincarnation, c’est-à-dire à la possibilité que l’âme défunte aille dans un autre corps pour commencer une vie nouvelle où elle se purifiera de sa vie antérieure.
Dans cette philosophie orientale, notre corps humain n’est, en fin de compte, qu’un support provisoire de notre âme. Et peut-être par connivence avec la réincarnation, le transhumanisme qui se développe aujourd’hui considère lui aussi que le corps humain, même en parfaite santé, n’est qu’un support matériel et provisoire de l’âme ou de l’intelligence humaine qui, elle, fonctionne comme un logiciel d’ordinateur programmant ce que doit devenir notre humanité, ou du moins ce qu’il en restera.

Dans son intention qui, en soi, est bonne, la réincarnation de l’âme dans un autre corps veut répondre au besoin de purification du cœur humain qui se rend bien compte qu’il est souvent impur, alors qu’il aspire à une lumière supérieure et à une clarté sans ombre. C’est justement pour cela que, dans la foi chrétienne, là où la purification des fautes est donnée par la miséricorde et le pardon infini, dans la croix de Jésus et dans sa résurrection, la réincarnation n’a plus lieu d’être. Oui, Frères et Sœurs, là où surgit l’amour miséricordieux qui pardonne infiniment, qui purifie et qui transforme, là où il y a le Sacré-Cœur du Christ, la réincarnation n’a plus lieu d’être.

Et l’on peut se demander si le transhumanisme actuel qui a tout d’une réincarnation modernisée où l’on manipule à volonté l’unité de notre corps et de notre âme, en s’affranchissant de toute contrainte éthique, ne repose pas, en son fond, sur une ignorance ou sur un rejet de la miséricorde infinie qui guérit les blessures du cœur, qui restaure la dignité des personnes et qui fait avancer vers la paix en recherchant la justice.

Le Christ, lui, annonce aux sadducéens qu’il y aura la résurrection des corps, mais que, dans cette résurrection, ces corps seront entièrement transformés par Dieu et non par la technologie des hommes. Nous serons semblables aux anges, nous dit Jésus, parce que, même en restant masculins ou féminins comme nous l’aurons été sur terre, nous serons pleinement comblés jusque dans notre chair par la vision de la splendeur de Dieu. Ce sont bien nos corps qui ressusciteront, parce qu’ils sont gardés dans la mémoire de Dieu, notre créateur, qui a la puissance de les recréer dans la gloire, affranchis de tout maladie et de toute infirmité, comme le corps humain de Jésus au matin de Pâques, entièrement transfiguré par l’Esprit-Saint d’amour et de vie.

Mais si nous savons simplement que notre éternité s’accomplira dans la joie de Dieu, et que nos corps seront libérés de tous leurs besoins physiques, nous ignorons le reste, et cela est très bien, car ainsi nous ne pouvons pas mettre la main sur notre avenir et nous devons le recevoir de Dieu, tout comme nous ne pouvons pas mettre la main, en voulant tout maîtriser, sur les personnes et sur le monde qui nous entourent. Nous devons plutôt apprendre à les recevoir d’en-haut pour grandir dans l’amour et dans la liberté.

Les apôtres ont vu et touché Jésus ressuscité. Ils ont passé 40 jours avec lui avant qu’il monte au ciel, non pas dans la stratosphère ou vers une autre planète, mais dans la transcendance de Dieu qui dépasse infiniment l’univers et ses limites. Les apôtres ont reconnu et confessé que Jésus est le Christ, le Messie d’Israël qui confirme la foi pharisienne en la résurrection des morts.

Juifs et chrétiens attendent le Messie, les uns sa venue, les autres son retour. Mais tous témoignent au milieu du monde que, comme le dit saint Paul, « les dons de Dieu sont sans repentance » (Rm 11,29), au sens où Dieu ne nous donne pas la vie pour ensuite nous laisser à jamais dans la mort.

Cette espérance de la vie éternelle dans la plénitude humaine et divine est une puissante lumière pour orienter notre vie en ce monde, et pour annoncer à nos contemporains combien les repères qu’ils cherchent sont à portée de leur cœur, dans l’amour infini et dans la paix que Dieu nous donne en son Fils, Jésus le Christ, Notre Seigneur, lui qui est vivant pour les siècles des siècles. Amen.

Père Patrick Faure

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